Marquées par l’absentéisme et un turnover régulier du personnel, les crèches luxembourgeoises ont des défis à relever afin de continuer à proposer un accueil éducatif de qualité.
L’heure de la rentrée scolaire vient de sonner au Grand-Duché. Ce lundi, les 525 crèches du pays étaient également concernées par la rentrée, puisqu’elles fonctionnent généralement selon le calendrier scolaire, les départs pour l’école entraînant les mises à niveau des groupes et l’arrivée de nouveaux enfants. Pour certains parents, la rentrée des crèches marque aussi l’heure de la récompense. Au Luxembourg, trouver une crèche vaut parfois de l’or selon l’emplacement.
«Nous sommes dans un secteur très demandé. On est toujours rempli et, quand des parents viennent visiter la crèche, on leur dit que ce sera pour l’année prochaine», raconte Sixtine, éducatrice dans une structure près de la frontière belge.
L’intéressée est d’ailleurs bien placée pour témoigner. Devenue mère en 2022, elle a également fait face à la longue liste d’attente dans la crèche où elle travaille, et ce, malgré les dispositions qu’elle avait prises. «J’ai fait la demande dès que j’ai su que j’étais enceinte, dès mon échographie de datation à six semaines. En plus, j’ai pris mon congé parental et ma fille est entrée à la crèche à 9 mois, c’était presque un an et demi d’attente.»
«En France, c’est plus la garderie»
Pour les crèches aussi, le Luxembourg doit composer avec la proximité des frontières. À deux pas de la Belgique et de la France, Sixtine dit avoir quatre enfants de frontaliers dans son groupe de dix-sept. «J’habite en France et, dans ma rue, tous les enfants sont à la crèche au Luxembourg», ajoute-t-elle. Pauline, éducatrice spécialisée dans le sud du pays, estime que «sur 36 enfants inscrits actuellement, une dizaine habitent en France».
Pouvoir déposer son enfant près de son lieu de travail est indéniablement l’une des raisons de l’attrait qu’exercent les crèches du pays sur les frontaliers, mais pas seulement. D’une part, les travailleurs frontaliers bénéficient, comme les résidents, d’une participation financière de l’État grâce aux chèques-services accueil. D’autre part, le système luxembourgeois a la particularité d’accueillir les enfants jusqu’à leur entrée à l’école à l’âge de 4 ans.
Une différence qui se sent au quotidien, notamment en matière d’activités éducatives. Un agent régional pour le développement de la qualité dans l’éducation non formelle sonde notamment les crèches à ce propos. «On les prépare plus à l’école. Quand ils sortent, ils sont prêts», résume Pauline. «J’ai fait des stages en France et je trouve qu’ici, la crèche est plus poussée. En France, c’est plus la garderie», constate Sixtine.
Du personnel instable
Pour le personnel, tout n’est pas aussi idéal. Sur Facebook, les annonces de postes à pourvoir et les candidatures pullulent. «Il y a beaucoup de turnover», confirme Pauline. La raison ? «Je pense qu’on se dit toujours que cela sera mieux ailleurs, que ce sera moins contraignant au niveau des horaires ou des comptes rendus. Certains se lassent aussi, car c’est très routinier, et puis c’est fatigant.»
De retour au travail après son congé maternité, Sixtine raconte, par exemple, avoir retrouvé seulement trois de ses anciennes collègues sur une équipe de douze. Comme Pauline, elle avoue que la charge de travail a pu jouer dans les départs. «Il y a deux ans, la crèche était fermée entre Noël et le Nouvel An, mais on avait beaucoup de demandes. C’est remonté jusqu’à la direction et maintenant on est ouvert toute l’année. Même moi, cela m’a refroidie», confie-t-elle.
Pauline raconte, elle, les horaires étendus d’ouverture de sa crèche. «Les heures classiques, c’est de 7 h à 19 h, mais sur demande des parents, on peut ouvrir à 5 h 30 et fermer à 22 h 30.» Une telle amplitude horaire est difficile à gérer avec des effectifs limités. «Être sept en même temps, c’est l’idéal, mais on est souvent six, voire cinq, parce qu’on a des horaires très larges. Quand il y a un congé maladie, c’est compliqué, parce qu’on est toujours ric-rac.»
Bientôt des ouvertures ?
«J’aime bien mon métier, mais ce n’est pas pour rien si j’entends autant de personnes se mettre en arrêt maladie», lance Pauline. «Sur le terrain, il faut avoir les épaules solides.» La pression pèse sur les crèches, puisqu’elles doivent respecter un ratio précis d’enfants par éducateur. Sinon, en cas de contrôle, l’agrément peut être retiré. Afin d’éviter l’absentéisme, l’éducatrice a des solutions : «Il faut qu’on soit allégé : soit moins d’enfants, soit ajouter du personnel.»
Interrogé par nos soins, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse assure ne pas connaître l’ampleur des arrêts maladie. «Étant donné que nous ne sommes pas l’employeur, nous n’avons pas les chiffres.» Le ministère reconnaît néanmoins qu’«il existe une forte demande» et que «des réflexions sont menées en vue de développer l’offre d’accueil».
Un développement qui passerait forcément par le recrutement de personnel, ce qui ne semble pas si évident du propre aveu du ministère : «La pénurie de main-d’œuvre représente un défi majeur.» Ce dernier a justement ouvert à la rentrée une formation d’éducateur au lycée Bel-Val à Belvaux. De quoi promettre plus d’employés et tenter de décharger un secteur essoufflé.
Les chèques-services : mode d’emploi
Quel que soit le statut de la crèche, les parents peuvent bénéficier d’une participation financière de l’État grâce au chèque-service accueil (CSA) versé aux crèches reconnues comme prestataires.
Cette aide s’adresse aussi bien aux résidents qu’aux frontaliers, à condition pour ces derniers que l’un des représentants légaux soit affilié au Centre commun de la sécurité sociale ou travaille auprès d’une institution européenne. L’enfant de frontaliers doit également bénéficier de l’allocation familiale au Luxembourg.
Le montant de la participation de l’État diffère selon plusieurs critères : revenu du ménage, nombre d’enfants, structure d’accueil, etc. L’aide est plafonnée à 60 heures par semaine et la participation maximale est de 6 euros par heure, mais des avantages supplémentaires existent selon certaines caractéristiques des enfants.
Des établissements sous contrôle
Les objectifs et principes pédagogiques auxquels doivent obéir les crèches sont définis dans le Cadre de référence national de l’éducation non formelle des enfants et des jeunes. Ils s’appliquent aussi bien aux structures conventionnées qu’aux structures privées. Ces dernières sont en outre contrôlées par les agents de la cellule Réclamation et contrôle de la direction générale du Secteur de l’enfance (DGE) du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse.
Cette cellule est composée de professionnels des domaines psychosocial, pédagogique, socio-éducatif et financier. Leurs missions consistent à répondre aux réclamations contre les crèches, organiser des contrôles (administratifs et financiers, inspections, demandes de prises de position) et assurer leur suivi, veiller à la mise en conformité des dispositions réglementaires et accompagner les acteurs, et assurer un rôle d’information et d’orientation.
Financement des crèches : le Luxembourg dans la boucle ?
Un verrou a sauté entre la France et le Luxembourg. Conscients que les problématiques des uns impactent les autres, les deux voisins se sont résolus à cofinancer des infrastructures pour leur bien commun. À Thionville, le parking relais de Metzange, abreuvé de fonds luxembourgeois et français, a marqué la première pierre de ce rapprochement en 2022.
Courant du premier semestre 2025, un parking silo, lové près de la gare de Thionville, soulagera les frontaliers. Son financement suit le même modèle, « fifty fifty ». Tout le monde en sort gagnant. D’autres équipements, toujours dédiés au stationnement, sont en négociations. En somme, les efforts se concentrent sur le terrain de la mobilité, un domaine particulièrement mouvant et éprouvant pour les navetteurs frontaliers.
1,25 M€ à la charge du voisin
« Il est temps d’aller plus loin. » Pierre Cuny, maire de Thionville, ne parle pas qu’au nom de sa ville ni de l’agglomération. Jusqu’à l’été dernier, il occupait la présidence tournante du Pôle métropolitain frontalier (PMF). La voix de cet organe, composé de huit EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale) concernés par la problématique frontalière, résonne fort lors des Commissions intergouvernementales (CIG) franco-luxembourgeoises. C’est dans ce cadre politisé que les accords bilatéraux se formalisent et que les idées germent. L’une des dernières en date détonne de par son caractère novateur.
Le PMF souhaite amener le Luxembourg sur une voie proche de la rétrocession fiscale, la méthode usitée de longue date dans le bassin frontalier suisse. Proche mais finalement bien divergente, tant dans l’esprit que dans ses effets : « Ce dispositif relève d’une autre époque, d’un traité datant des années 70, écarte l’élu. Plutôt que de réclamer une part des prélèvements fiscaux des frontaliers qui transiterait par Paris, je préfère que ces sommes soient fléchées vers des frais de fonctionnement en lien avec le Luxembourg. »
L’élu a identifié un secteur d’activité tout trouvé : les crèches, plantées à la frontière. Ces structures d’accueil, largement peuplées d’enfants de frontaliers, s’adaptent au rythme professionnel de ces travailleurs : « Leurs horaires sont adaptés, confirme Pierre Cuny. Elles ouvrent plus tôt le matin et plus tard en soirée. Il paraît légitime que le coût induit par les horaires atypiques fasse l’objet d’une participation financière du Luxembourg. »
Un montant affleure déjà : « 2,5 M€ par an, dont 1,25 M€ qui serait à la charge du voisin. Pour le Luxembourg, c’est toujours moins élevé que de construire de nouvelles crèches », prévient Pierre Cuny.
Jean-Michel Cavalli (Le Républicain Lorrain)